Je suis né le 16 février 1957 à 14:40, à Mulhouse en Alsace.
Ce que j'ai écrit là, est MA perception
de la vie que j'ai eue. Je ne veux en aucun cas que ce soit pris
comme une vérité bénie des dieux, ou une plainte, mais juste comme
ma perception personnelle d'évènements et de ressentis de mon
histoire. Je me suis accaparé mon histoire je l'ai faite mienne,
elle est aussi ma force d'aujourd'hui.
Ma conception un peu après la naissance de
ma sœur est ce qui est appelé un retour de couches. J'imagine que
l'abstinence est de mise chez les catholiques pendant la période de
grossesse. Attendre 9 mois doit, du coup, être très long pour
pratiquer des péchés sexuels. Surtout, qu'en plus, la période post
natale de ma sœur a dû être souffrante à cause de ses problèmes de
santé. Mais la vie ne s'arrête pas comme ça, la graine a croisé
l'ovule, et voilà que le cycle de vie est relancé.
Les premières pensées de mes parents ont dû être " hé merde
! " Ou plutôt " Yo naï " car je suis
alsacien. L'âme que je suis a dû ressentir ces mots dès les premiers
instants de son existence. Qu'ont-ils fait pour arrêter ce processus
de vie ? Parfois, mon imaginaire me propose l'intervention
d'aiguilles à tricoter. Je n'explique pas d'où me viennent ces
pensées-là. Je me suis donc intéressé à ce sujet. Effectivement,
c'était bien une méthode d'avortement jusqu'en 1939 de là à imaginer
que c’était encore une solution actuelle en 1957 à la campagne, il
n’y a qu’un tout petit pas pour l’accepter. Une autre information
vient percuter mon esprit, une colocataire, une fille. Dans le
ventre de ma mère, pendant la première période euphorique, où tout
est insouciance, j’entends cette fille me dire, « il y en a un en
trop, je te laisse ». Mon esprit lent n’a même pas eu le temps de
négocier que cette âme a décidé de se sacrifier et de me laisser
là. L’avortement à aiguille et cette pensée de petite sœur sont
certainement reliés. En regardant côté généalogie du côté de ma
mère, le schéma est le suivant (Garçon,
Fille, Fille, Garçon), et dans ma fratrie (Garçon,
Fille, ̶F̶i̶l̶l̶e̶,
Garçon) la fille a bien disparu. Aujourd’hui encore la vue d’une
petite fille m’émeut sans savoir pourquoi, je suis peut-être
toujours encore à la recherche de cette petite sœur. Je n'ai jamais
eu de réponse claire à ces questions, seulement "tu sais à l'époque
l'avortement n'existait pas". Mais la vie n'est pas encore terminée
et j'aurai peut-être un jour, plus d'information à ce sujet.
Toujours est-il que j'arrive en trop dans une famille déjà complète
ce samedi-là en février 1957, le 16. Le printemps n'est pas encore
arrivé. Je pense que le monde extérieur ne m'engageait pas vraiment
à la vie. Ma mère avait perdu les eaux la veille, elle s’est
présentée à l'hôpital le lendemain, et je suis né que dans
l'après-midi. Une fois la poche percée, l'enfant peut encore
survivre deux jours, j'avais donc encore une marge théorique de
survie. Voulait-elle me supprimer ? Ai-je refusé de sortir de là
? Ou peut-être les deux... En tout cas l'environnement extérieur me
paraissait certainement hostile, mais la nature est ainsi faite, il
faut sortir de là ! Pas le choix. Cette famille d'accueil est une
famille modeste, rurale, catholique. L'argent est une denrée rare,
mais il y a toujours à manger. Je subis pas mal de violence physique
et verbale. Je connais les cinq blessures de l'âme sur le bout des
doigts. Je perçois l'atmosphère de crise parentale, elle est
palpable comme les bancs de brume d'un automne humide. Je vis
dedans, dehors, c'est sans doute trop dangereux. J'observe, et je me
sens à distance des évènements qui se déroulent autour de moi. À
distance de la vie, des autres, je me sens si différent. Je montre
un visage avec un petit sourire, mais qui en réalité n'en est pas
un, c'est juste un système de défense qui me protège d'un monde
insupportable. J'imagine mon visage comme un bouclier, et moi un peu
en retrait derrière cette façade. Je vis dedans, avec une certaine
dose d'autisme. En même temps, mes capteurs sont en alerte, je
développe cette sensibilité du parano sensitif, au cas où le ciel
venait me tomber sur la tête. Je vis dans ce monde imaginaire qui
lui sera utile dans ma vie, je peux m’y installer quand mon
extérieur m’insupporte.
Ce système a des avantages, je suis tranquillement dans mon monde, sans être dérangé. L'inconvénient est que j'y suis seul. Prisonnier d'une grande bulle de savon. Et, peut être, pensent ils que je peux me débrouiller seul vu que je ne me manifeste pas. Là, mon piège se referme sur moi-même, et accentue encore un peu plus mon isolement.
Dans ce mode de fonctionnent je me protège aussi des introjections des parents. Ce qui me paraissait absurde à extérieur est certainement aussi à l'origine de mon armure. Je suis libre penseur encore aujourd'hui, je ne peux adhérer à aucune pensée sectaire.
« Dedans dehors, dehors dedans ». (si tu te sens en dedans de la
famille, tu peux être dehors “extraverti”) Et (si tu te sens en
dehors, tu vis dedans “introverti”). Au regard de la typologie, mon
attitude principale au regard de CG Jung serait donc introverti avec
comme fonction principale, la pensée, et donc comme fonction
inférieure le sentiment.
La maternelle, l’école primaire, le collège, le lycée, l’IUT. Juste
un peu guidé et entraîne par le courant de la vie, sans vraiment
faire de choix personnel, sans convictions, un peu éteint. Je
termine mes études, je fais le service militaire obligatoire. Je
termine même officier pour faire pareil que le frère qui m'a
précédé, en espérant que ma mère ait le même regard amoureux sur
moi, ou peut-être de manière plus perverse, lui faire sentir que moi
aussi, j'y arrive, sans battre du tambour dans tout le village. Fuck
en quelque sorte. Au fond de moi, je suis pacifiste, la violence
brutale de mon père, et les conflits incessants du couple parental
m'ont mis de ce bord. Pourtant, l'histoire des humains nous montre
encore aujourd'hui que la violence est présente et fait partie aussi
de la vie. D'ailleurs, comment la non-violence aurait-elle un sens
sans la violence ?
Mais ma vie n’était pas que souffrance, à vrai dire il y a eu aussi
un gros soleil. "Papapa". Le
grand-père. Rare pourtant sont les moments où j’ai vraiment passé du
temps avec lui, il a dû se construire, plus dans mon imaginaire, que
dans le réel. Mais j’ai des bribes de souvenir assez clair pour me
souligner que le lien réel a bien existé et qu’il n’est pas issu
entièrement de mon imaginaire. Le grand-père est dans une cabane de
jardin, ce grand jardin qui se trouvait à l'arrière de la maison
maternelle, au-dessus d'un talus, que la rivière a dû creuser
pendant des millénaires. En traversant la rivière, un escalier
sculpté dans cette pente argileuse menait au jardin. Il fallait
traverser un sentier communal, qui séparait les deux parcelles de
terre. Une porte en bois, très souvent ouverte me donnait une vue
sur une allée bordée d'arbres fruitiers. Sur la gauche, un arbre
dont le tronc était très penché était là très certainement en
attente des enfants qui voulaient y grimper, car il se présentait
abordable patient, accueillant, un peu comme s'il me disait
: "Viens-là". Au milieu de l'allée principale, sur la droite, il y
avait cette cabane. Papapa était assis
là, sans plus, pas d’exploits à faire, rien, juste être là. Un
chapeau de paille, un chourtz « tablier
en Alsacien », une grosse moustache
grise, et beaucoup d'amour. À cet endroit-là, il était à distance de
monde d'en bas, il était plus proche des étoiles et du ciel, du
vent. J'admirais ses ronds de fumée qui s'échappaient de sa bouche,
comme des anneaux qui s'envolent, il était du coups un être
exceptionnel pour moi.
Plus tard en partant sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle,
j’ai passé devant cet endroit, et j’ai entendu au fond de mon être,
"vas-y", et fait ce pèlerinage un peu pour moi aussi. Une forte
émotion m’a traversé le corps, j’ai pleuré, il était encore
là, pas loin. (j’ai remarqué à quel point il représentait la
sécurité pour moi, je m’y suis accroché comme à une bouée de
sauvetage). Même aujourd'hui, quand je
relis ces mots l'envie de pleurer remonte à la surface, j'entends
l'enfant en moi appeler papapa? papapa?
Je me lance dans la vie.
J'épouse celle qui est la mère des
deux enfants de ma famille. C'est elle qui va être le déclencheur de
mon intimité avec la psychologie. Elle met au monde deux filles, le
bonheur ! Jamais, de ma vie, un tel bonheur n'a percuté mon
cœur. Encore, aujourd'hui, je voudrais les tenir à portée de ma
main, mais la vie, c'est aussi la séparation, elles vivent leur vie
propre et mon besoin n'a pas a affecter leur liberté. Création
d'entreprise, maison, voitures, piscine, voyages, argent, chien
chat. Sans trop réfléchir à la condition humaine, à réfléchir sur
mes convictions, juste guidé par les évènements, une vie un peu
insouciante en quelque sorte. À 30 ans j'ai tout ce que je pouvais
désirer et la vie pouvait continuer à être avalée à vitesse grand V.
Mais en regardant en arrière, je me
rendais compte que ma bataille dans la vie était orientée vers
AVOIR.
Mais le passé me rattrape, comme
pour me réclamer des comptes. J'avais une relation particulière à
l'informatique, une fuite superbe pour remplir les manques. Je
programme encore de nos jours, comme d'autres vont à la pêche ou au
foot. Cette aventure s'est soldée par une peur du
clavier (phobie). J'ai même goûté à l'anxiolytique (Praxadium) sur
avis médical. Le médecin de l'époque m'a dit, vous savez, moi, à
votre âge, j'ai repeint mon intérieur. Je pense, qu'il a vu au
travers de ma situation, son problème particulier, et a choisi de le
régler de cette manière-là.
J'entame le travail sur moi. La
psychothérapie aidant, ma vie change, j'arrête tout, je me paye même
le luxe de faire Saint-Jacques de Compostelle. Mon
chemin enfin ! Une route que je choisis MOI. Au retour,
je me lance dans la formation en 2003 pour ETRE psychothérapeute.
J'avais pourtant appris en primaire
qu'il y avait deux auxiliaires, avoir ET être.
Je connais la blessure du cœur et je
donne du sens à : "je t'aime, tu es libre". Cette phrase a une
profondeur incroyable. Et j'expérimente encore. Mon cœur pleure,
mais j'en prends soin.
"Le coeur a beau mentir, la blessure est au fond."
Citation d'Alfred
de Musset ; La nuit d'août.
"Même quand la blessure guérit, la cicatrice demeure."
Citation de
Publilius Syrus ; proverbe des Sentences - Ier s. av.
J.-C.